Nez à Nez – 2002

Nez à Nez

Impromptus clownesques

Soirée de rencontres improvisées,
sous la direction de Anne CORNU et Vincent ROUCHE.

Avec : Boris ALESTCHENKOFF, Sébastien CHERVAL, Servane GUITIER, Maryse HACHE, Jean-Michel JOUANNE, Thierry LEFEVRE, Caroline LEMIGNARD, Eric LYONNET, Ingrid MARCQ, Stéphanie PASQUET, Marc VAILLIER, Hélène VIAUX, Catherine VUILLEZ, Patricia WILLISOWSKI.

Dessin : Ingrid Marcq.

Cet événement a eu lieu le lundi 27 mai 2002, à 20h30 Au Théâtre le SAMOVAR 165, avenue Pasteur 93170 – Bagnolet

Skênê, la scène, en grec ancien désigne la tente à l’ombre de laquelle l’acteur changeait de masques. L’espace de jeu portait un autre nom, on le disait théâtral, (littéralement : « contemplable »). La tente disparut, la « scène » gagna la lumière de l’espace théâtral. Plus tard on mit un toit et la salle fut éteinte. L’acteur trouva l’ombre en coulisses. Notre projet part du désir d’offrir au spectateur quelque chose qu’il n’a jamais l’occasion de voir : le premier masque, celui de la personne, avant même celui de l’acteur, avant qu’aucun des deux n’aient eu le temps de se métamorphoser en personnage. Qui est-il ? D’où part-il ? Que vit-il, celui-là, spectateur parmi les spectateurs, qui se désigne « acteur » au moment où il se lève de son siège pour aller jusqu’à la scène les représenter tous ? Cette mise à nu, cette transparence, qui permet d’exposer depuis l’origine toutes les étapes de la « mise en jeu », est le fondement de notre recherche. Ainsi, ils se lèveront, prendront le temps de se regarder, commenceront par se reconnaître, par se nommer les uns les autres, avant de se rendre sur la scène. Partant d’eux-mêmes ils donneront à voir dans une impudeur extrême ce qui, d’ordinaire se cache. Puis, les acteurs iront se placer sur l’aire de jeu. Ils mettront un nez de clown. Une approche, pas à pas, scandée par la règle d’un jeu de regards donnera à voir comme « au ralenti » ce qui va faire l’essence de leur rencontre : ils nous donneront à voir comment naît une histoire. Dieu gît dans les détails, disait Pascal, c’est donc eux que nous invoquons pour approcher l’humain. Ayant pris le parti du « presque rien », ce clown prend le temps de lire en lui, en l’autre ce qui l’anime, ce qui le fait vivre, il l’isole, le répète, l’étire, l’amplifie jusqu’à l’ivresse, jusqu’à ce que ce « je ne sais quoi » ait livré son secret… Gestes, sons, bribes de phrases, esquisses de chant, le clown saisit ce qui surgit à la volée et fait feu de tout bois. Ainsi la rencontre se tisse à coups de sensations… ainsi l’histoire s’élabore à grands traits de l’intime. Devenu détective, l’acteur derrière son nez, est à l’affût. Il traque le réel à coups de loupe, en décrypte les moindres signes et s’évertue à épingler ceux que d’ordinaire on laisse filer dans la pénombre. Entr’ouvrant la porte de l’inconnu, il ne sait jamais ce qui va suivre. Le risque est grand car ces petits riens finissent toujours par en dire long. L’homme se révèle en sa faillite : « l’idée qu’il se faisait de lui-même » se délite et les surprises sont saisissantes. Mais, l’acteur qui a accompli le voyage, celui qui a conquis son clown, devient le « roi » de sa trouvaille. En toute impunité, il nous offre l’ivresse de sa découverte. Car les clowns ont la fabuleuse faculté de s’en réjouir et, en cela, ils nous libèrent. Le public ainsi convié à suivre depuis l’origine les tâtonnements de leur existence, de leur rencontre se réjouit lui aussi des évidences qui vous éclatent à la figure… ou qui, parfois, vous filent sous le nez. Sa présence est essentielle. Elle révèle la chorégraphie de ces mouvements de l’âme : le moindre souffle venu de la salle le fait tout suspendre et le clown vient voir car il se pourrait bien que celui qui regarde ait saisi un indice qui lui échappe. Le public pourrait bien être le miroir dont les clowns ont besoin pour partager et comprendre ce qui se joue malgré eux. La complicité entre eux et lui se tisse à coups de sensations. Sur le mode de la « performance » et tel un artiste contemporain, l’acteur prend le risque du théâtre vivant et rend au spectateur la force de son regard, l’incidence de son émotion. Quatorze acteurs sont invités ce soir à se rencontrer. Ils travaillent avec nous depuis quelques années et ont en commun d’avoir fréquenté avec passion les règles d’un jeu implacable. Si nous leur demandons aujourd’hui d’improviser leur rencontre en public c’est qu’ensemble nous avons envie d’offrir ce que ce clown nous a offert dans la folie de son défi : un traité de savoir vivre.

Anne CORNU

Les dessins sont de Ingrid Marcq

Le désir est ici d’offrir de l’ivresse.

« Là où sont posés mes pieds, je suis à ma place. »
Proverbe Amérindien

Le désir est ici d’offrir, dans le moment, sur le vif, comme on croque.
Ni arrêter, ni figer, ni statufier.
Regarder dans le trait, dans son rythme, dans sa texture, la forme qui s’offre et la considérer comme essentielle, comme pleine, comme entière.
S’il le veut bien, mettre le spectateur en situation de recevoir, de voir, d’entendre, témoin, de recevoir, brute, la vie qui se cherche, qui s’offre ici devant, et, dans le moment, recueillir ce qui s’expose.
Ici, l’on montre, ce que d’ordinaire on cache ou qu’on croit caché, ce qu’on voudrait cacher, les moindres des signes qui nous révèlent au monde, à nous-mêmes. L’invisible est lu au cœur du visible.
Les signes qui troublent, qui gênent, qu’on juge, dont on aurait bien voulu se passer… qui réjouissent, qui laissent en paix, qui provoquent la tempête… toutes les facettes, sans restriction.
Radical.
Regarder ce qui affleure… Et comment !
Le clown, nos clowns, ces clowns-là prennent ce temps-là, au risque du ridicule, d’être n’importe quoi, de devenir idiot.
Parfois, ils en finissent par ne plus savoir comment ils s’appellent, alors ils se cherchent, ils traversent la scène, longent les murs, stationnent pensifs devant une fenêtre, chantonnent un bout de chant qui traverse, ne font plus rien, silencieux, nous regardent…
Puis on les entend marmonner.
A nouveau, en quête des origines…
Du jour où ils sont nés… à ce qui, en eux, naît…

Vincent ROUCHE

« Reculez d’un pas et tout s’élargira spontanément »
Proverbe Chinois

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