Dis-moi quelque chose – Sujets à vif


la suite de « Dis-moi quelque chose » en vidéo

avec Catherine Vuillez, Boris Alestchenkoff

Dis-moi quelque chose

Sujets à vif – SACD – Festival Avignon 2009

Création collective

Mise en scène : Anne CORNU, Vincent ROUCHE
Jeu : Boris ALESTCHENKOFF , Catherine VUILLEZ

Produite par la SACD et le Festival d’Avignon 2009

Dis-moi quelque chose a été présenté dans le cadre des Sujets à vif
au Jardin de la Vierge du lycée Saint-Joseph
Du 21 au 23 et du 25 au 28 juillet

De l’esquisse à la réalisation

Dis moi quelque chose est né d’une proposition de Nicolas Bouchaud. Invité par le festival d’Avignon pour une carte blanche dans le cadre de Sujets à vif 2009, il nous a demandé de mettre en scène un duo de clowns.
Sujets à vif, coproduit par la SACD et le Festival d’Avignon, propose à un artiste une aventure singulière dans un temps imposé (30 minutes), dans la cour du Lycée Saint Joseph, en lumière naturelle.
Voici ce que nous avons proposé alors :
« Nicolas Bouchaud a choisi d’inviter Catherine Vuillez et Boris Alestchenkoff pour un duo dans un jardin sous la direction d’Anne Cornu et Vincent Rouche.
Acteurs de théâtre, familiers des grands textes, Boris Alestchenkoff, Nicolas Bouchaud et Catherine Vuillez partagent une passion intime : le clown.
à bien les regarder, on aurait pu s’en douter, quelque chose dans l’œil frise.
Au cœur de la rencontre, dans l’ivresse du clown, ils esquissent aujourd’hui une parole singulière, invoquant au jardin de la Vierge la figure la plus tragique et la plus drôle que nous connaissons tous : l’Amoureux. »
Cette représentation a été conçue non comme un extrait de spectacle mais comme un objet en soi. L’imaginer sur une durée de plus d’une heure revient à repenser la dramaturgie, à ré-improviser avec les acteurs pendant quelques semaines, à créer un décor, de la lumière.

Dis-moi quelque chose

Tout le mystère est dans ce quelque chose qui n’est pas n’importe quoi.
Ces mots que nous avons tous prononcés, ont un étrange goût de solitude.
C’est à ce titre qu’ils m’intéressent.!
C’est sous cette enseigne que nous avons décidé d’aborder le Sujet,  sous le prisme de son discours, de sa solitude et de son attente.
Inspirés par les « Fragments d’un discours amoureux », deux clowns nous font entendre la voix du plus tragique et du plus éternel d’entre tous : l’Amoureux.

Nous aurions pu intituler le spectacle « Après une lecture de Barthes ».
C’est en relisant la préface de ces déjà fameux fragments que la proximité syntaxique entre le clown et l’amoureux m’a frappée.
« … son discours n’existe jamais que par bouffées de langage qui lui viennent au gré de circonstances infimes, aléatoires… on peut appeler ces bris de discours des figures… L’amoureux en proie à ses figures, se démène dans un sport un peu fou, il se dépense comme un athlète… »
« Une figure se reconnaît si quelqu’un peut dire : Comme c’ est vrai ça ! »

Parcourant le lexique d’un discours amoureux nous trouvons exposées des situations dramatiques . Ce qui est en tête de chaque figure ce n’est pas une définition, c’est son argument, dit Barthes, il ajoute à récit, sommaire, petit drame « instrument de distanciation, pancarte, à la Brecht »
C’est ce parcours que nous avons fait avec les acteurs, repérant les pancartes et nous en inspirant pour improviser.
Ainsi les clowns ne nous parlent pas d’amour, ils parlent l’amoureux.
« Les phrases restent suspendues elles disent l’affect puis s’arrêtent… les mots ne sont jamais fous, c’est la syntaxe qui est folle : n’est-ce pas au niveau de la phrase que le sujet cherche sa place – et ne la trouve pas… l’amoureux parle par paquets de phrases, c’est un discours sans transcendance, aucun salut »
« Si l’auteur prête ici au sujet amoureux sa culture le sujet amoureux lui passe l’innocence de son imaginaire, indifférent aux bons usages du savoir »

C’est ce sur quoi nous avons rêvé avec deux acteurs et c’est de cela que ce sont emparé les clowns Géraldine et Bartok.
Géraldine est l’amoureuse et, dans l’attente de son bienaimé, croise Bartok – qui n’est pas celui qu’elle espère. Bartok, lui, est sidéré par cette rencontre. Il s’en approche, pour mieux la voir, s’interroge mais de si près… ne risque-t-il pas d’être contaminé ?

Ici pas de casting

La proposition faite par Nicolas Bouchaud est née d’une rencontre qui a eu lieu il y a quinze ans. Quand Nicolas a découvert le clown au cours d’un atelier de création à Vanves nous en étions à l’esquisse du spectacle Toute l’eau du déluge n’y suffira pas. Nous avons retrouvé Nicolas avec la troupe de Jean-François Sivadier en 2007 sur Le roi Lear. Ensemble nous avons cherché l’ivresse du roi dans l’ivresse d’un clown. En 2009 nous l’avons retrouvé dans La dame de chez Maxim. Et c’est là que nous avons ensemble décidé d’aller plus loin.
Car ici pas de casting.
Les acteurs sont initiés à notre approche avant d’entreprendre toute création.
De quel clown s’agit-il ?
Ce clown est solitaire. En lui, l’Auguste et le clown blanc ne font plus qu’un.
Devenu serviteur de lui-même, il n’est plus soumis qu’à la seule tyrannie de ses désirs, de ses craintes, de ses élans, de ses empêchements.
De la sensation la plus subtile à l’émotion la plus violente, il nous offre sa transparence, nous donnant à voir et à entendre ce qui le fait vivre et le fait agir. Attentif au moindre signe qui affleure, il sait se laisser surprendre et guider par l’impulsion.
De l’esquisse du geste qui échappe, il s’empare et l’étire jusqu’au déploiement pour mieux nous le montrer. De la même manière, il peut partir d’un son ou d’une bribe de phrase et aller jusqu’à l’articulation d’une parole pour mieux nous faire entendre. C’est ainsi qu’il piège l’inconnu de lui-même, c’est ainsi qu’il constate l’abîme infranchissable entre ce qu’il est et ce qu’il voudrait être. Au cœur de la distorsion jaillit la parole, organique, elle passe par le corps entier. En lui, qui ne peut vivre que dans l’instant, sans aucun recul sur ce qui lui arrive, on peut lire « à livre ouvert ».
Parce que nous tentons d’allier dans la recherche, l’essence du clown à la singularité de la personne, en retour, il nous  parle de nous.

Dans la lignées des spectacles

Dis-moi quelque chose s’inscrit après Embarquez-lesToute l’eau du déluge n’y suffira pasLa passion selon Lola, Nez à nezMoments perdusEntre nous soit ditCome Fly with me.
Nos clowns inspirés par la personne et guidés par l’acteur sont toujours par essence préoccupés par la condition humaine, par l’homme dans tous ses états.
L’état amoureux est un thème récurrent et ce spectacle vient en écho à tous les autres. Il répond aussi dans sa forme à une recherche que nous menons depuis quinze ans : donner à voir ce fameux passage au jeu dont parle Denis Guénoun.
L’acteur est à la source de la théâtralité. Il est le point de passage du mot vers le corps, le lieu d’irruption, de jaillissement du mot sur l’espace visible de la scène. C’est en quoi l’activité de l’acteur participe très essentiellement de la mise / en / scène comme cœur de la production du théâtre.
… Le jeu, c’est le passage au jeu. Le proprement théâtral du jeu, c’est le jeu de cette impropriété qui passe au jeu, qui fait naître le jeu et montre au regard son irruption. C’est en cela que le jeu est essentiellement ludique : le jeu n’est pas un domaine propre, défini, circonscrit au sein duquel on se poserait par un savoir-faire. Le jeu, c’est la mise enjeu.
Il s’agit de dire que, dans leur activité même, le tout du théâtre, consiste en de la mise en scène, c’est à dire en cette fonction singulière qui veut ouvrir au visible la matière noire et aveugle des mots
… On pourrait dire alors : le passage au jeu, c’est ce qui montre que l’acteur sur scène est membre de la communauté des spectateurs. Il est naturel, il est comme nous. Il n’est pas joueur par essence, mais parce qu’à un moment il commence à jouer, il entre dans le jeu. Le passage au jeu, c’est la trace, sur la scène, du geste d’invite par lequel on a convié l’acteur à monter sur le plateau.

Aussi quand le clown en direct traite le réel qu’il décrypte dans l’instant du dire, il donne à voir et à entendre l’origine de son geste, de son texte et nous l’offre en surplomb d’une partition écrite celle-là. Tel un funambule il joue sur le fil des temps. Sa conscience du présent, son sens absolu de l’instant le contraignent à suspendre l’action, à donner du relief au moindre événement. C’est ainsi qu’il ouvre des espaces d’invitation au jeu à celui qui regarde.

Le corps en jeu fait danser le texte

Le pied de la lettre fait le bras ballant. Le jusqu’au bout du geste qui révèle met la silhouette à l’extrême… pour voir. Les acteurs sont aussi danseurs et s’ils se coltinent à la réflexion c’est pour mieux oublier.
Quand l’acteur saisi par l’ivresse du clown se laisse traverser, surgit un langage sensible, lié à ses sens, ainsi se crée le sens. Quand le geste qui échappe va au bout, quand, partant de la sensation il s’étire, alors se crée la danse.
L’architecture lui est révélée par ce qu’elle joue avec lui.
Ainsi, dans le jardin de la Vierge en Avignon Bartok remarque que l’estrade installée dans la cour masque la base d’un arbre, il le remarque, surgi de nulle part, comme lui. La feuille d’un palmier frémit dans le vent, il se glisse dessous, elle devient son éventail. La chapelle qui jouxte la cour fait résonner les voix qui la traversent. C’est par le chant que Bartok et Géraldine révèlent son existence et en jouent, comme de tout, et comme l’enfant… le clown n’en revient pas.
En Avignon le décor étant naturel en plein air, nous l’avons esquissé dans la salle de répétition, nous en connaissions le dessin, l’emplacement des arbres, l’architecture, mais c’est en direct qu’il s’est mis à jouer, sensationnel.

Anne Cornu©

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