Rencontre avec les comédiennes, 1993
Le clown au féminin, on pourrait le définir comment ?
Betty – Pas de tarte à la crème, ni de seau dur la tête. On nous a dit c’est plus fin, plus subtil, mais nous ne pensons pas à faire plus « subtil », nous essayons seulement de réagir face à l’événement, de poser un regard premier sur les choses.
Anne – Prenez un homme et une femme, mettez-leur un nez de clown, laissez mijoter puis attendez qu’ils ouvrent les yeux. Observez. Quelle différence entre les deux ? Derrière le clown est un homme, derrière l’autre une femme… Et ils vont vite s’en rendre compte.
Avez-vous trouvé chacune votre clown ?
Betty – On tend vers.
Catherine – quand le « clown » est là, il pourrait arriver n’importe quoi, le décor pourrait s’écrouler : il est là ! Dans un présent extraordinaire. Chaque chose est découverte à l’instant même où elle apparaît.
Céline – Un soir, deux verres se sont cassés sur scène. Les clowns sont sortis des coulisses pour ramasser les bouts de verres. Ils sont allés chercher l’aspirateur, et là, face à l’urgence, chacun a trouvé sa place exacte. L’équilibre était parfait.
Betty – L’aspirateur est devenu un monstre qu’on tirait, qu’on poussait. Nous étions toutes « branchées » sur la même image : une sorte de Bouledogue au bout de sa laisse…
Le clown s’apparente-t-il aux personnages de théâtre ?
Betty – Le clown n’est pas psychologique. Il est là. S’il se pose mille questions, il se pose vraiment mille questions. Et ça devient le jeu. On repère une petite sensation en soi et on la fait grandir. Allez retour. De soi au public. De soi au partenaire. Et la sensation change. Pas de texte.
Catherine – Le clown dédramatise. Clin d’œil sur soi-même jusque dans la vie. Il rend plus léger, donne un autre regard sur le monde. Quelqu’un un jour a dit « vous auriez pu rester là, comme ça, encore pendant une heure ».
Qu’est-ce qui a le plus surpris le public ?
Betty – L’esprit du spectacle. Nos clowns ne sont pas traditionnels, ils ne sont ni acrobates ni musiciens. Le public se demande ce qu’il va voir ; les clowns apparaissent d’abord comme des formes…
Catherine – La douceur, la tendresse qui s’en dégagent…
Betty – L’univers particulier à l’intérieur duquel chacune fait son histoire…
Catherine – Les lumières, les climats…
La vie d’un clown, c’est comme une métaphore de la naissance ?
Betty – C’est comme si l’on s’ouvrait à un nouveau monde. Un monde qui ne cesse d’évoluer.
Catherine – Il n’y a pas de réalité qu’il « connaisse ». Ce qui rapproche le clown de l’enfant, c’est son regard sur le monde. Un mur blanc, il va d’abord le toucher, essayer de la pousser. Pour lui tout est nouveau.
Betty – Le clown apprend à accepter ce qui est là. Sur la scène, dans la salle. Le clown nous apprend à jouer avec le public.
Quelle réaction du public vous a le plus touché ?
Betty – La banane. Les yeux qui brillent. Le plaisir. La joie. Que ce spectacle plaise aussi bien à un enfant qu’à un vieillard, cela me touche beaucoup. Nous avons joué dans des zones rurales dites défavorisées et devant les abonnés de centres dramatiques. Tous étaient ravis pour des raisons différentes.
Propos recueillis par Anne Cornu
L’équipe artistique
Mise en scène : Vincent Rouche.
Collaboration artistique : Laurence Camby.
Lumière : William Lambert.
Régie générale : Benoît Favereaux.
Avec Céline Chatelain, Catherine Cretin, Anne Cuisenier, Sylvie Didier, Corinne Lordier.
Avec Christine Wurm dans la deuxième équipe.
Production Compagnie Embarquez, avec l’aide du Centre de Rencontres de Besançon et du Théâtre-Tout-Court (Compagnie du Moment) à Paris.
Spectacle subventionné par I’A.F.A.A., la D.R.A.C.
Franche-Comté, la région de Franche-Comté, le ministère de l’Éducation nationale, le Conseil Général du Doubs et la ville de Besançon.
Presse
TELERAMA . Avignon Off 1993. Les cinq drôlesses au gros nez rouge sont vêtues de blanc et s’agitent frénétiquement devant des paravents aussi immaculés que leurs costumes de soubrette, de petite fille modèle, de tragédienne ou de femme à la toilette. C’est qu’elles jouent à être « grandes » : à lire le journal, à attendre d’impossibles bébés, à s’emparer du pouvoir et à devenir séductrices… Avec leur silhouette de petites filles naïves et aventureuses, gourmandes et tendres, Céline Chatelain, Catherine Cretin, Anne Cuisenier, Sylvie Didier et Corinne Lordier explorent l’imaginaire féminin. Dirigé par Vincent Rouche, Embarquez-les, le spectacle bien nommé de la jeune compagnie Franc-Comtoise Embarquez, est d’une fantaisie pleine de légèreté : épuré comme un conte japonais, chaleureux et libre comme un jeu dans la cour de récré. Qui osait dire qu’être lemme – clown tenait du pari impossible ? Fabienne PASCAUD
LE FIGARO . Avignon Off 93. Elles sont cinq, cinq billes de clowns qui déboulent sur scène en nez rouge et visage blanc. D’abord en ombre chinoise, puis avec timidité, elles avancent tels des animaux sauvages qui ne demanderaient qu’à être apprivoisés. C’est déjà magique, on à frotté la lampe d’Aladin, et apparaissent ces cinq créatures muettes qui dévisagent le public avec curiosité. Avec de simples accessoires, des chaises, des ballons en plastique où est imprimée la carte du monde, une valise, du papier journal, elles racontent toute une vie. L’envie, la jalousie, la tendresse, la convoitise, le jeu, l’appartenance à un groupe, le plaisir, tout y, passe sans qu’on ait l’impression d’assister à quoi que ce soit de grave ou de sérieux. Elles sont légères comme leurs ballons parce que tout naît d’un clin d’oeil, d’un sourire, d’un geste. Le public est constamment convié à devenir témoin de leurs joutes muettes., il est le regard qui les fait exister, il est celui qu’elles veulent séduire et convaincre. Y’a d’la joie dans ces cinq figures comiques, reflets optimistes de l’âme humaine. Caroline JURGENSON
Coup de pouce du jury du festival Off, Avignon, juillet 1993. Prix de la Fondation René Praile, Théâtre 140, Bruxelles, mai 1994.