Vincent Rouche
Cet article sera complété, augmenté, selon les réflexions, les observations futures.
C’est un premier apport sur le sujet.
Shakespeare, King Lear, I, 5. Traduction Jérôme Hankins.
» Fool : Thou canst tell why one’s nose stands i’th’middle on’s face ?
Lear : No
Fool : Why, to keep one’s eyes of either side’s nose, that a man cannot smell out, he may spy into.
Le fou : Tu sais pourquoi on a le nez au milieu de la figure ?
Lear : Non
Le fou : Eh bien, pour avoir un œil de chaque côté du nez, comme ça, ce qu’on n’a pas su flairer, on peut l’apercevoir. «
Et pour le maquillage, comment tu fais ?
Voilà une question qui m’est fréquemment posée.
Pour information : vous trouverez des images, jusqu’en bas de la page.
Je n’ai pas la prétention de dire ici ce qu’il faut faire, mais de livrer quelques réflexions qui me sont venues en pratiquant, en regardant les visages des stagiaires et en dessinant directement sur ces visages des formes diverses. J’ai toujours procédé par essais, erreur et tâtonnement. Ainsi on essaie quelque chose, ça fonctionne ou pas, on efface, on recommence. On laisse une erreur, une tache, une ligne qui bave un peu, qu’on trouve trop longue, devenir le fondement du dessin. En improvisation, on teste ce qu’on a fait et puis le lendemain on recommence : on modifie, on accentue, bref on joue avec les formes.
La plupart du temps donc, on tâtonne. L’inspiration vient souvent de ce qu’on a vu chez les autres, des images de clowns d’avant ou d’aujourd’hui que l’on a pu trouver de-ci de-là.
Cependant, il y a peut-être quelques principes que l’on peut appliquer.
Je distingue généralement deux options plus ou moins radicales (sans doute y en a-t-il d’autres) : soit on souhaite que le maquillage révèle les moindres mouvements du visage, soit le contraire.
Il y a cette expression : « ça se voit comme le nez au milieu de la figure ». Le nez est rouge et est comme un point au milieu d’un cercle, les regards convergent sur ce point. Le maquillage peut alors avoir comme principe de faire en sorte qu’à partir de ce point, cela rayonne : le nez concentre et à partir du nez cela rayonne vers l’extérieur, comme un feu d’artifice…
Dans le second cas, le maquillage est composé comme une tête de marionnette peinte, l’effet se rapproche d’un masque : on peut voir les yeux bouger, mais le reste du visage reste plus ou moins stable, impassible. Cela oblige souvent d’avoir, avec le reste du corps, une gestuelle plus dessinée.
Il est aussi possible de réfléchir quant à l’aspect plus impressionniste ou expressionniste du dessins. Autrement dit, par taches qui sont légèrement ou fortement estompées, ou par lignes claires très dessinées, marquées.
Tout dépend de l’effet recherché, de ce que l’on veut donner à voir.
Enfin, dans le dessin que l’on compose, il y a parfois des petits « trucs » qui fonctionnent plus ou moins selon les visages.
Option 1 : les traits du visage sont mobiles
Deux zones sont à distinguer : la bouche et les yeux ou plus précisément les sourcils.
C’est en observant attentivement le visage en mouvement, selon que la personne prend alternativement l’air fâché puis étonné, content, triste, boudeur, que l’on pourra voir comment, principalement la bouche et les sourcils changent de forme.
– Pour les yeux, trois expressions sont à considérer : normale, c’est-à-dire on ne fait rien, les muscles sont au repos ; étonné, c’est-à-dire les sourcils sont tirés, levés au maximum ; fâché, c’est à dire les sourcils descendent au maximum et le front est plissé entre les deux yeux, les deux sourcils.
– Pour la bouche, trois expressions sont à considérer : normale, c’est-à-dire on ne fait rien, les muscles sont au repos ; content-e, c’est à dire le sourire est tiré le plus possible ; enfin triste ou comme boudant selon le cas, c’est-à-dire que les commissures des lèvres sont tirées le plus possible vers le bas.
Cependant, j’ai remarqué que certains visages sont très peu mobiles : il y a des personnes chez qui soit les sourcils, soit la bouche, soit l’ensemble se transforme très peu quand on demande de jouer à grimacer. Dans ce cas, l’option tête de marionnette s’impose probablement plus.
D’une manière générale, s’intéresser à l’anatomie du visage aux groupes de muscles est une bonne manière de faire.
Les yeux et surtout les sourcils
Pour cette zone du visage, dans un premier temps, je vais procéder par point, par ligne, par triangle.
Un triangle, comme chacun-e sait, est composé de trois angles et trois droites. Je commence donc par observer le visage dans les expressions déjà citées et par pointer les angles probables, trois points poser sur le visage à certains endroits choisi. Par exemple à partir d’un des deux bouts du sourcil, ou à partir d’un angle naturel que je repère. Et j’observe comment, entre ces points, les lignes bougent et se transforment, comment elles se réorganisent selon les expressions.
Selon le positionnement des trois points du triangle, les côtés pourront être l’un horizontal et l’autre oblique, le troisième éventuellement une oblique dans une autre direction, voire une verticale. Changeant d’expression, certaines de ces lignes vont prendre l’orientation inverse : ainsi une oblique deviendra horizontale, l’horizontale deviendra oblique et la troisième aura par exemple tendance à se rétrécir ou à s’allonger. Ou encore, la droite va s’incurver ou prendre la forme d’accent circonflexe, aigu ou grave ; si la ligne est plongeante et droite vers l’entre deux yeux cela va donner un air plus fâché ou sévère d’autant plus qu’elle se rapproche de la ligne médiane du visage ; à l’inverse une ligne droite partant du haut et descendant du milieu du front vers l’extérieur (ou vers l’oreille), jusqu’à la pointe externe d’un sourcil, voire un peu plus extérieure encore, donnera une expression d’emblée plus étonnée.
La bouche
Pour la bouche, plusieurs formes sont possibles également.
Généralement, je vais chercher à couper les « lignes » des lèvres de manière à ce que la bouche naturelle disparaisse totalement, qu’elle ne soit plus reconnaissable.
Faire disparaître les commissures, ainsi que l’arc de cupidon est souvent une bonne solution.
Travailler avec des lignes droites est souvent une option de base dans la mesure où une droite se transforme vite en courbe ou en ligne brisée. Après avoir vu les mouvements qui apparaissent en faisant les trois expressions décrites plus haut (normal ou neutre, content-e, triste ou boudeur) il est possible de modifier les traits, les traces et de faire en sorte que, selon l’expression, ça joue encore plus.
Par exemple un petit rectangle qui ne va pas jusqu’aux commissures va donner sensation de bouche serrée et va s’étirer ou se rétrécir encore plus selon ce qu’on fait avec la bouche, un rectangle plus long (une bouche bâton) va prendre la forme d’une parenthèse qui serait mise à l’horizontale et dont la courbe s’inverse selon que l’on sourit ou que l’on fait la gueule, et si cela advient, accentuer l’ouverture de la bouche, et d’autres formes apparaîtront encore ; et ainsi de suite pour une bouche charnue, une bouche en cul de poule, etc.
Astuce : Quand on peint les lèvres, régulièrement les bouger comme on le fait quand on se met du rouge à lèvres, c’est à dire, frotter les lèvres l’une contre l’autre en exagérant, pour voir jusqu’où la matière déposée va peut-être s’étaler, baver, tacher un autre endroit. Il est alors question de faire vivre ces endroits en les incluant dans la forme qui apparaît, ou d’enlever de la matière en sorte que ça ne se passe pas.
Option 2 : les traits du visage sont le moins mobiles
Ici, le traitement consistera à s’éloigner du centre du visage. Générer des lignes plus loin des sourcils, des yeux, de la bouche, en sorte que, quand il y aura du mouvement, celui-ci modifiera peu ou moins le dessin. Il y aura toujours du mouvement, mais parfois beaucoup moins une gestuelle elle-même plus dessinée, plus nette, à l’instar de celle d’une marionnette.
Avec une marionnette, le regard est dépendant de l’orientation du visage dans l’espace. Dans le jeu, c’est toute la tête qui donne la direction et qui fait que, public, nous avons la sensation d’être regardés par elle, ou encore qu’elle regarde dans une direction précise. C’est aussi un peu comme quand on regarde une personne située à une bonne distance : les dessins toujours en évolution du corps en mouvement peut être lisible ou pas selon qu’il est net ou flou. On peut aussi penser à la photographie : si ça bouge tout le temps, s’il n’y a pas de pause, l’image est floue, devient illisible dans le détail. Mais on peut aussi jouer du flou, c’est une question de choix.
Impressionnisme
Les lignes, les formes sont nettes et bien découpées.
Expressionnisme
Les lignes sont plutôt des taches et l’on peut jouer avec le net et l’estompé.
Il est tout à fait possible de jouer avec les deux modes.
Trucs
Le point sous l’œil
Un point ou un petit trait vertical situé juste à l’aplomb de la pupille va donner, si les paupières se ferment, le sentiment que nous sommes toujours regardés. On peut compléter ce point sous la paupière inférieure par une marque sur la paumière supérieure : cette dernière disparait plus ou moins quand les yeux sont ouverts, mais accentue fortement l’effet quand les paupières sont closes.
C’est un classique.
La goute sous l’arcade
Ceci est moins connu, mais accentue fortement l’expression sur certains visages. Une marque en forme de goutte est posée sous l’arcade, au plus proche de l’arête du nez : elle est vaguement visible quand l’expression est neutre ; elle disparaît totalement quand l’expression est fâchée ou concentrée, que le front est plissé ; enfin elle apparaît fortement quand l’expression est étonnée.
Cette sorte de goutte part du dessous de l’arcade et remonte vers le sourcil en pointant légèrement en direction du milieu du sourcil.