La passion selon Lola
Confidence clownesque de Anne CORNU, Ingrid MARCQ.
Mise en scène : Anne CORNU et Vincent Rouche.
Avec : Ingrid MARCQ
Musique originale : Cloé Du Trèfle
Bruxelles – Mars 2003, Paris – Oct 2003, Avignon Théâtre des Doms – Avril 2004.
Bruxelles Théâtre 140, 20, 21, 22 mars 2012
Lola est de celle que l’on quitte. C’est du moins ce qu’elle croit. Passée maître en l’art de choisir celui ou celle qui, immanquablement, la laissera sur le carreau, devenue athlète à l’épreuve de l’impossible, elle a collectionné les passions.
« La passion selon Lola » est l’histoire d’un calvaire : les prénoms se succèdent dans le cœur de Lola mais, à l’instant où « l’autre » s’en va, le texte de Lola reste le même…
Au cœur de la douleur, la répétition nous met la puce à l’oreille, le ridicule guette.
Cette fois elle a décidé de se soumettre à la rupture, de la soumettre à la question.
Pierre de touche, elle s’y frotte et, tel un étendard, brandit sa dernière lettre de rupture, minable photocopie aux arguments douteux : « je t’aime mais ce n’est pas le moment. Je n’ai jamais vécu un bonheur si heureux, tu es magnifique, mais j’ai ma carrière, tu mérites mieux que moi, fais ta vie… Adieu, Lola. »
Dans la saoulerie des mots, l’outrance de la douleur, elle purge le poison et mène un étrange procès.
Mais de quel crime s’agit-il ? Quelqu’un, dit-elle, a tué l’amour.
Soudain nostalgique, elle se le remémore ; Soudain haineuse elle accuse. Solitaire depuis toujours et à jamais dans l’urgence du dialogue, elle s’invente un partenaire.
Le délire n’est pas loin.
Elle gesticule, gémit, s’épanche.
Interroge tout ce qui lui tombe sous la main : de la bible au magazine féminin, à défaut de verdict, elle confronte les oracles et en perd son latin. Qu’est-ce qu’une femme ? Qu’est-ce que l’amour ? Que cherche Lola ?
La spirale l’entraîne et c’est au cœur de ce mouvement que le clown trouve son ivresse. Car Lola est un clown tragique, ridicule et saisissant.
A force d’être nulle et risible… : Elle met son image en pièces.
D’un coup de pattes effaçant les contours de son maquillage, l’ivresse tombe. Et, avec elle, le nez.
L’équation se révèle avec son inconnue.
Anne CORNU
La naissance de Lola…
Ce jour-là, je fuis vers la campagne.
Petite, je suis petite, je dois avoir 10 ans, c’est forcément un dimanche, puisque toute la sainte famille est là, comme tous les dimanches.
Ce jour-là, je fuis la messe, le porto, le rôti, la purée, les épinards, parfois le poulet, la compote, les frites et puis la vaisselle avec Jacques Martin.
Je marche seule. Le village est désert.
Soudain, j’aperçois une forme inattendue, un toit rouge et blanc, dominant mes toits gris familiers.
Les dernières maisons dépassées, je découvre une tente géante et ronde au chapeau pointu. Posée là sur le pré. Tout autour d’elle, de la boue, des caravanes, de la fumée, des animaux dans leurs cages, des cordes, du linge et de la boue, encore de la boue…
J’entends de la musique et des applaudissements.
Derrière la toile rouge, j’aperçois une silhouette. Un homme, une grande veste à carreau, une perruque, un faux nez rouge et rond. Il est là, debout, la tête inclinée vers le sol, les pieds dans la boue, il attend de rentrer en piste. Une main dans la poche, il n’a pas de mouchoir, de l’autre main, enlève le faux nez et se mouche le vrai avec deux doigts.
Cette liberté me fascine et m’effraye.
Je m’enfuis, dans mes habits du dimanche, les chaussures pleines de boue. Je rentre chez moi la tête bousculée.
J’ai entrevu un autre monde, et je remonte sur le navire dont ma grand-mère tient le gouvernail. Dans ces deux mondes, le même tragique.
Ce soir-là, je regarderai une fois encore les femmes de la famille pleurer devant un film romantique qui finit mal et les hommes, pris par l’ivresse du vin redevenir des enfants chiffonnés.
Moi, je reste entre deux mondes.
26 ans ont passé, je suis derrière la toile rouge et je vais entrer en scène.
Je choisis le théâtre, j’ai rassemblé mes deux mondes. Je m’appelle Lola, clown au féminin.
J’aimerais offrir cette vision d’une femme ivre de vivre sans alcool.
Ingrid Marcq
Parti pris de l’écriture…
Le langage de ce clown prend sa source au pied de la lettre.
C’est là qu’il s’enivre. Tous les sens sont en alerte.
“On m’a dit : casse-toi” dit Lola, “Je l’ai fait.”
Et la voici en mille morceaux.
“Quand on est seule, rester entre ses quatres murs, ça fait vieux !”
La voilà debout, en marche vers le public.
“J’aime dépasser les frontières, aller à l’étranger.”
Les yeux plongés dans le regard d’un spectacteur, elle vient d’abattre le quatrième mur.
La conscience naît dans l’action, les sens se révèlent dans l’instant du dire, c’est à cette source-là que le clown trouve l’ivresse.
L’objet devient métaphorique de ce que l’acteur est en train de vivre… Deux valises renversées sur le plateau attirent son regard, dans un mouvement de solitude, elle les rapproche et s’y blottit. L’image de la voyageuse installée dans un compartiment lui fait dire:
“Vous avez remarqué, j’aime voyager.”
Les sons s’agglutinent parfois à son oreille en dépit de la syntaxe :
“Qui c’est qu’a mis le… Qui c’est Camille ?”
Et voici surgi d’un lapsus le partenaire qu’elle attendait.
L’écriture naît de ces sensations immédiates.
Cette parole vivante se nourrit des surprises dans l’instant de la représentation.
Le clown garde la magie du présent absolu au cœur de la partition écrite.
Anne Cornu
Mais de quel clown s’agit-il ?
C’est le clown que chacun de nous porte en lui.
C’est un être sensible qui accueille à chaque instant ce qui le surprend et, sur le mode de l’aveu, offre les signes de ses émotions.
Toujours aux aguets, dans l’étonnement et la curiosité, il se nourrit de tout.
Il se plaît à dire oui à ce qui advient.
Ainsi, les faiblesses, les empêchements, loin de l’anéantir, lui donnent de la vie.
Dans cet état d’acquiescement, il fait apparaître le dérisoire de l’être humain, se rit d’abord de lui-même.
Il est là où il ne s’attend pas, là où le public ne l’attend pas, non plus.
C’est le clown du quotidien, qui en visite le tragique, le comique, qui se propose de prononcer entre les quatre murs d’une salle de théâtre, face au silence de la salle, ce que la vie lui a discrètement glissé à l’oreille.
Ingrid Marcq
En lui, l’Auguste et le clown blanc ne font plus qu’un. Ce clown est solitaire.
Devenu serviteur de lui-même, il n’est plus soumis qu’à la seule tyrannie de ses désirs, de ses craintes, de ses élans, de ses empêchements.
Il ne juge rien. Il constate, fait feu de tous bois.
Nous l’aimons dans ce qu’il révèle à l’humain, de plus qu’humain qui, d’ordinaire, nous file sous le nez.
Anne Cornu
Allez Camille partez cette fois et pour de bon.
Votre JE m’éblouit.
Votre Tu m ‘assassine.
Votre ELLE me tient à distance.
Vous ignorez le NOUS, Camille.
Vous manquez de style.
Et en plus, vous ne parlez pas Italien.Quoi ?
Texte de Anne Cornu et Ingrid Marcq
Vous parlez d’un échec ?
Mais pas du tout.
Merci Camille.
J’ai vu le général, j’ai vu sa conquête.
Je suis le général.
Qui revient sur le terrain de sa première défaite, car c’est là, la seule victoire qui l’intéresse.
A Dieu, Camille.
C’est fini !
Quelques liens
Allez voir : le site de la compagnie L’échapée Belle de Ingrid Marcq
Allez voir : Ingrid Marcq sur Facebook